Ser penedo é ser por fora o que se é por dentro (Teixeira de Pascoaes)
... é como ser transparente.

6 de março de 2012

Zéro Tués de Régis de Sá Moreira

Zéro tués de Régis de Sa Moreira

Rencontre avec Régis DE SA MOREIRA
Présenté par Joaquim PINTO DA SILVA
(Directeur de la librairie Orfeu)

6 mars 2012 à 19 heures 30

Spectacle proposé
du 6 au 24 mars 2012
par le
Centre Culturel des Riches Claires
http://www.lesrichesclaires.be/


Bibliothèque des Riches Claires
Centre Culturel des Riches Claires




Bonjour à tous.
Merci de votre présence.
Merci au Centre Culturel des Riches Claires et à la Bibliothèque du même nom, sous la direction de Marie-Angèle Dehaye qui m'ont honoré avec cette invitation à présenter une œuvre (et un auteur) que je ne connaissais pas et que m'a fortement impressionné, ait par son style ait par sa créativité, mais nous y retournerons plus loin.
Je dois dire que, avec la Bibliothèque (et le centre) des Riches Claires, les littératures de langue portugaise ont reçu les dernières années un soutien important, soit par l'acquisition d'œuvres, bien partagés entre toute variante national d'expression portugaise, soit par l'invitation d'écrivains renommés à cette ville de Bruxelles: Mário Cláudio, Miguel Sousa Tavares, le mozambicain Mia Couto et maintenant le franco-brésilien Régis de Sá Moreira.

Parvenir à vous parler d'un auteur dont je ne connais que cet œuvre et les informations du dossier de presse, est un exercice très intéressant et très motivant – et pour cause je l'ai accepté – , car il est supposé que mon analyse soit alors dépourvue d'influences exogènes, extérieures, et que cette concentration sur le texte lui-même puisse mettre en exergue vraiment la "vrai biographie" de l'écrivain, son œuvre (comme disait Octavio Paz).

Il va de même pour la version adaptée de Sebastiàn Moradiellos, que j'ai bien reçu mais que, consciemment j'ai mise de côté, pour la simple raison que la critique d'une pièce de théâtre, adaptée d'un roman-mère, doit être analysée par son accomplissement naturelle, où vraiment le script prend forme, allure et vie, c'est-à-dire, sa prestation sur scène. Attendons alors le spectacle d'aujourd'hui.
Je me suis donc concentré sur le roman, le texte vif et nu.
Sans vouloir vous raconter toute l'histoire, voici une esquisse braqué dans des épisodes, dans les 4/5 personnages, dans les indications (à vrai dire bien cachées), en évitant de "tout aborder et tout dire" que, comme nous tous le savons, est exercice impossible et pénible (en plus) pour vous, les auditeurs.
Tout texte cache une autre interprétation, jusqu’à l’infini, et celui-ci à plus forte raison, car derrière son apparence dégagée il y a un côté énigmatique à fouiller. Après plusieurs lectures je ne suis pas du tout assuré d'avoir saisi tout les sens capitaux de l'œuvre.

L'épisode peut-être le plus marquant du récit c'est le suicide par pendaison de Joseph Owalski. Omniprésent, même dans les flashbacks où apparaît, fait ici et là, en petits indices ainsi que dans l'aperçu, du portrait psychologique du personnage, plein d'amertumes, d'indéfinitions et d'hésitations existentielles, dues sans doute à son existence solitaire, introvertie, donc avec une grande difficulté en avoir conscience de soi (comme le dit le dossier de presse) un antihéros englué dans son mal-être, avec, on dirait, une énorme incommodité de s'adapter à notre monde

- (Andres) Tu dors dans le hamac?
- (Joseph) Ouais… C'est assez casse-gueule mais j'ai mis un matelas en dessous, au cas où…
Andres réfléchi un court instant.
- Ben… pourquoi tu dors pas sur le matelas?
- Merde…
- Quoi?
- J'y avais pas pensé. (53)

Joseph souffre du spleen, de dégoût de l'existence. Il est le portrait, c'est sûr, de l'inadaptation contemporaine à une vie quasiment déterminée à l'avance, sans issue, bourré de lieux communs:
- … On ne peut pas aimer si on ne s'aime soi-même… On ne peut compter que sur soi-même…Il faut vivre à fond… la beauté c'est intérieur… L'essentiel c'est de s'amuser… Profite, profite à fond!

Clara, sa fiancée, toujours présente, même en absence physique – ainsi elle le voudrait –, même si apparemment plus décidée et résolue, montre aussi un caractère chancelant et sans une ligne de conduite propre, toujours s'interrogeant sur la nature réelle de sa passion et surtout de son avenir en couple. Elle se pénalise, non sans raison, de la rencontre raté, trop tardive.

Plus équilibrés, normalisés selon les coutumes auxquels nous sommes confrontés quotidiennement, le couple Françoise et Andrés Owalski (celui, frère de Joseph), les 2 autres personnages, absolument nécessaires au récit, à sa gestion, à son économie, sont, d'une part, interlocuteurs qui permettent un regard plus rationnel sur la schizophrénie latente de Joseph et Clara, mais d'une autre vue, en participent activement, n'apaisant pas vraiment les tensions existantes.
Ces 4 personnages, plus un autre dont nous en reviendrons plus loin, fonctionnent dans une trame humaine à peu près à huis-clos, où il n'y a presque pas de monde extérieur (il y a un présomptif vendeur de cordes, une imaginée, rêvée, femme âgée dans un train, et presque personne de plus).

Pathétiques et souvent grotesques, ces personnages (surtout Joseph et Clara) se trouvent dans l'incapacité d'élaborer un avenir pour eux-mêmes, se renfermant dans la petitesse de son quotidien, impénétrable à toute autre expérience et contact, le transformant dans une tragédie annoncé.

- La routine, quoi. – la routine.

Les angoisses sans cause explicite, des dialogues dans un ton sec dépourvu (pour ainsi dire) d’émotions, la presque absence de sentiments énoncés, au moins des sentiments tels que nous, les soi disant "normaux", les éprouvons.

(Joseph dans son livre en construction:)

- Quitté par la femme de sa vie, il se prépara une pizza.

("elle, (Clara) s'était laissée glisser contre un mur, face à son homme nu et pendu" ce n’est que plus tard qu’elle pleure un peu)

(encore sur Clara, après l'avoir rencontré pendu:)

- Elle se déshabilla et se glissa dans son bain.
Mit une main entre ses jambes.
Bougea sa main sans le quitter des yeux.
S'arrêta.
Recommença.
S'arrêta de nouveau.
Le regarda de plus belle.
Reprit.
S'arrêta complètement. (40)

Mais s’il n’y a pas de vraies émotions (profondes en tout cas), pas de rationnel non plus. Nous ne retrouvons pas une logique essentielle de comportement.
Toutefois, très humain, il faut le dire, le récit est toute à fait vraisemblable, nonobstant des scènes ou règne l’absurde et le non sens.
Nous sommes dans la caricature décalée et le féerique désabusé. Dans l'absurde. (Écrits d’Antigone).

Mais parlons maintenant du 5ème personnage,
- Qui es-tu, demanda l’homme (ex-Joseph).
- Je suis, répondit l’autre.
- C’est toi ?
- Oui.
- Dieu ?
- Ainsi m’appelles-tu…(11)

Ce Père, déçu par son fils, envoyé en Terre pour sauver l’humanité et qui l’a trahi.
- Il s’est laissé prendre par votre soif inhumaine de vie… il a continué de vous tromper. (152)

Cette présence d’un Dieu, disons que, pragmatique, voire paradoxalement incrédule (qui procède d’un certain réalisme magique), dit et réitère la voie du suicide comme la seule qui mènera l’humanité au bonheur, à la paix. Il n’y pas de morte vraie que par le suicide ; seuls les suicidés ont trouvé l'astuce.
La pire des fautes? Non, le chemin vers la vérité, selon l’appelé Dieu :

- Le mal est dans votre nature, vous devez changer de nature… et vous ne pourrez vivre en paix qu’après avoir renoncé à votre vie.(153)

Selon lui, Joseph avait compris.
Plus tard, à la fin, Clara aussi, et les deux ont finalement pu trouver son pré, l’endroit où:

- …assis là, dans l’herbe, avec lui, avec elle… (ils ont su que) le plus beau moment de (leurs) vie allait durer toute (leurs) vie.

Je ne peux pas dire exactement, comme le dossier de presse, que : Zéro Tués est la tragédie moderne de l'amour absolu. Vivre pour aimer et mourir d'amour, une sorte de Romeo et Juliette (n’oublions pas l’explicite du nom du chien, Shakespeare, et aussi que Joseph écrivais à ce moment une histoire décalqué de cette pièce) ou de Pedro et Inês, car la tragédie ici ne se accomplie vraiment pas, vu la jonction sublimatoire finale des deux êtres dans le pré, qui est le seul signe d’espérance dans un livre de ton gris et triste.

Le langage est courte, simple, colloquiale, jeune, abrégé, très peux évocatrice, très attaché à la réalité, à la description même - nous osons le dire -, une approximation au degré zéro de l'écriture, vu son absence de indications métaphoriques ou autres. Le texte est tel quel, imaginatif et créatif, mais limpide, sans tournures de style où renvois intertextuels, avec ici et là, c’est vrai, de très peu de notes culturelles (Papageno, Shakespeare, Le Petit Prince).

D’un certain point de vie ce roman est une parodie de la quête de sens de la vie dans un monde désintéressant. L’individu, et le roman, se replie sur soi même, sur la sphère privé, indifférent au monde qui l’entoure, loin pourtant des engagements sociaux et fondamentalement pessimiste par rapport à l’homme.
Comme disent Les Ecrits d'Antigone :
- la scène est dressée, macabre, mais néanmoins absurde, presque drôle

Des traces, donc, d’un post modernisme certes actualisé, notamment par le traitement de la question ontologique, bien que l’épisode clé – le suicide – soit traité de manière froide, distante.
Le réel cèdera la place au mystère, au début et à la fin du récit, avec la rencontre de "l’appelé Dieu".
Au même temps il respecte la logique "nouveau romancière" (disons comme ça) du "moins l'écriture d'une aventure que l'aventure d'une écriture", car l’impression finale que nous gardons c’est que l’auteur a privilégié plus les aspects liées au déroulement syncopé du texte comme conducteur de l’histoire. Qu’il soit clair que, selon nous, il ne s’agit pas d’une mise en évidence de la forme en tant que telle, mais au contraire, que l’essentiel est justement dans cette découpe signifiante du texte et de son organisation interne, à intense imagination et à un rythme enveloppant.
Et, encore un paradoxe, l'œuvre devient un classique à fin heureux, placide, avec comme personnages seulement les "hommes qui ont habité les corps", les corps qui sont restés sur terre, tandis que les êtres montaient à l'Eden, aux prés verdoyants et paisibles.
Un fin "zéro tués", comme l'annonce le titre, ce que veut dire "0killed", message militaire devenu icône universel de tout va bien (le o.k.).

L’auteur est né en 1973, et vit aujourd’hui à Paris.
Il est l’auteur de quatre romans, dont Pas de temps à perdre, en 2000 (qui a reçu le prix « Le Livre élu »), Zéro tués, en 2002, ainsi que Le Libraire, paru au Livre de Poche en 2004, et son dernier roman, Mari et Femme, en 2008.
Zéro tués est le premier roman de Régis de Sá Moreira adapté au théâtre.

Un roman percutant, secouant et perturbant, certainement un grand livre qui mérite une reconnaissance accrue.

Pour terminer, et sur la pièce elle-même que nous allons voir ensuite, dans la adaptation de Sebastiàn Moradiellos, je suis comme les marchands auxquels D. Quijote a forcé à dire que :

- "Dulcinea del Toboso es la más bella de la tierra" (la plus belle au monde)
et ils répondent :

- Mais nous ne l’avons jamais vue!
- Justement - insiste Quijote – "lo habéis de creer, confesar, afirmar, jurar y defender";
- l’important c’est que vous le croyez, l’avouez, le jurez y le proclamez avant de la voir, car après ça, cela n’a aucune valeur.
Donc, je vous demande votre attention à la très belle pièce de Sebastiàn Moradiellos et Régis Sá Moreira.
Merci de votre patiente.
Bruxelles, le 6 mars 2012.
Joaquim Pinto da Silva

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